L’idée du commun, des communs, des biens communs traverse la société toute entière et participe à nourrir l’espoir d’un changement profond et sincère. Elle nourrit la réflexion et les pratiques depuis plusieurs années. Mais dans le même temps, elle peine à se constituer en force de transformation réelle. S’en saisir afin de construire les infrastructures nouvelles pour que les initiatives locales ou sectorielles se relient et fassent systèmes, tant sur le plan fonctionnel que sur celui de l’imaginaire, est indispensable. Pour contribuer à faire advenir ce monde désiré, nous proposons d’organiser une Assemblée des communs autour de leviers et des conditions de cette transformation : partageons nos diagnostics et nos enjeux ! créons les conditions d’alliances entre acteurs des communs ! faisons des communs une force instituante !

DU SERVICE PUBLIC AUX COMMUNS

Comment articuler intérêt général et communs ?

L’absolue nécessité de reprendre la main sur les services publics, de combattre le new public management et la financiarisation des missions publiques a fait naître des revendications et des initiatives qui s’appuient sur la praxis des communs. Les domaines concernés sont nombreux : l’énergie, les transports, la santé, la connaissance, la culture, l’alimentation, l’accès à l’eau, le logement, … Certains sont plus visibles que d’autres, soit parce qu’ils sont plus fortement revendiqués, soit parce qu’ils ont donné lieu à des expérimentations plus visibles ou avancées.

Repenser le service public à l’aune des communs ne peut se faire sans les usager·ère·s, les travailleurs et les travailleuses et les représentants et représentantes de la puissance publique au niveau national mais aussi territorial. Qu’ont-ils à partager ? Quelles expériences, outils et mécanismes, quelles stratégies élaborer pour créer des conditions plus favorables à la reconquête de l’action publique par les citoyens et les citoyennes ?

Pour que l’expression service public en commun ne soit pas qu’une coquille vide de plus en plus instrumentalisée par la novlangue du new public management, l’Assemblée des communs invite celles et ceux qui en sont les acteurs à débattre, identifier et constituer des objets de travail communs afin de créer les conditions d’alliances stratégiques et politiques.

LIEU, ESPACE ET INTERSTICE

Les infrastructures de la solidarité réelle dans nos territoires

Les activités humaines collectives (contributives aux communs) s’appuient sur des lieux et pratiques d’occupation des espaces, qui en sont à la fois les réceptacles et les points d’appui pour les communautés concernées. Ces lieux sont en cela des infrastructures de l’agir en commun, c’est à dire littéralement ce qui permet dans une large mesure la coproduction de la solidarité dans les territoires où ils sont engagés (territoires qui ne se limitent pas à leur environnement proche). La diversité des désirs et des utopies portés par les acteurs qui utilisent ces lieux enrichit leur fonction ordinaire primaire.

Le rapport à la puissance publique devient problématique quand celle-ci ignore la dimension transformatrice et indépendante de ces projets pour n’opérer plus qu’une classification administrative à laquelle est associée une perspective de rentabilité financière de ce qu’elle tend à considérer comme son investissement propre.

De l’espace social et culturel à l’hôpital, de l’école à l’entreprise, de la ferme urbaine au logement, les usages communs dans tous ces lieux, les contributions aux milieux de vie humains et non-humains doivent être rendu visibles. Les communs doivent être sortis de l’ombre. Il est urgent de permettre aux acteurs de lieux de diverses natures de se reconnaître, de retrouver et de protéger les dimensions de soin qui sous-tendent leurs missions et pratiques, de les rendre visibles afin qu’elles puissent être célébrées par les communautés au sein desquelles ils sont engagés. Cela passe notamment par une reconquête des mots qui nous servent à dire le commun, et par la capacité à en dire la qualité.

TRAVAIL

Du choix du chômage au choix de l’emploi contributif

Le capitalisme financiarisé dégrade le travail. À la division du travail, il ajoute le contrôle par les chiffres. Il tend à retirer aux travailleuses et aux travailleurs la maîtrise du sens de leur travail. Il rend invisibles et sans valeur les gestes de soin apportés à la chose faite et aux personnes. Phénomène de notoriété publique dans l’hôpital ou l’EHPAD, dans l’usine ou sur les plateformes, il est devenu un risque majeur jusque dans les tiers lieux, dès lors qu’ils ne seraient plus qu’une filière de l’innovation aux normes définies par la puissance publique, elle-même sous l’emprise d’une indispensable valorisation et mise en concurrence des territoires.

Le travail est aussi un des piliers essentiels de la vie économique et sociale , à travers la répartition des revenus et de la protection sociale. À ce titre, nous faisons face à deux défis. D’une part la stigmatisation de plus en plus systématique par les institutions publiques elles-mêmes, dont font l’objet celles et ceux qui n’ont pas d’emploi, converge avec la recherche des nouvelles formes d’exploitation et de rentabilité que sont le travail à la tâche, les contrats zéro heure par exemple, pour détruire le contrat social. D’autre part, la rétribution financière des pratiques du commun, présentée comme une évidente nécessité à travers les filières émergentes du numérique, de l’innovation des territoires (tiers lieux) et de l’écologie émergente, ouvre la voie à la marchandisation de pans entiers de l’activité de l’homme et de la nature jusque là préservés.

Dans ce domaine, quelles brèches ouvrir pour faire reconnaître les personnes comme contributeurs et contributrices et sujet de droits, et permettre le développement de dispositifs sociaux et économiques qui donnent à chacun et chacune les moyens d’une vie digne ?

PRODUIRE

Comment produire en commun ?

Les manières de gouverner les territoires, de plus en plus fondées sur l’ethos entrepreneurial plutôt que sur l’idée de service public, s’alignent avec des stratégies d’accumulation financière qui délaissent la dimension industrielle. La production est pourtant un enjeu à la fois économique et écologique du territoire et des communautés qui les habitent. Celui-ci échappe à la démocratie, tant à l’intérieur de l’entreprise, que dans la communauté qui constitue son environnement, sous le prétexte de secret d’affaire et de protection de la propriété intellectuelle. Etablir des mécanismes de production fondées sur des besoins légitimes et qui permettent de rendre transparents les flux économiques est une condition pour faire collaborer les producteurs et les consommateurs plutôt que les opposer.

Comment transformer les rapports de production, tant sur le plan des industries de nature que des industries de culture, pour sortir d’une conception extractiviste de la ressource ? Produire, à l’heure de l’agroécologie, des industries culturelles, du big data, c’est, entre nature et culture, toujours déjà une affaire de re-production. Re-produire en commun, serait-ce produire par delà nature et culture, dans un rapport apaisé au vivant ?

La réputation des modèles de production des communs est acquise à l’échelle réduite, locale. Ils sont en réalité nombreux sous des formes diverses à faire la preuve de leur pertinence dans des dimensions pair-à-pair qui articulent le local et le global mais leurs promoteurs font face à un défaut d’infrastructures techniques, juridiques, économiques qu’il est urgent de dépasser.

CULTURE JURIDIQUE

SÉCURISER ET AUTO-GOUVERNER PAR LE DROIT DES COMMUNS

A l’initiative du labo d’entre-aide juridique des communs

Les initiatives de commoning, quel que soit le domaine considéré, proposent constamment des solutions pour préserver la ressource partagée et définir opportunément des conditions justes de son usage.

Préserver la ressource suppose de questionner certaines notions comme le droit de propriété (notamment dans le domaine foncier) au regard du droit d’usage, de l’intérêt général et de l’utilité sociale et écologique face aux intérêts financiers et spéculatifs.

S’assurer de conditions justes d’accès à la ressource conduit à imaginer les règles de gouvernement permettant à chacun.e de prendre part de manière non concurrente, collaborative, à son usage et sa préservation. Cela implique de penser ensemble un mode d’organisation souple, sécurisant et représentatif des différentes parties prenantes : un mode de gouvernement qui prend soin de la ressource et de chacun.e.

La réponse à ces différents enjeux passe souvent par l’adaptation de règles existantes ou par la créativité juridique. Dans tous les cas elle participe d’une production ascendante de la règle commune qui parfois se heurte aux règles descendantes produites par les institutions. Parfois encore les 2 mouvements se rencontrent dans une union heureuse.

Des personnalités comme David Bollier, Judith Rochfield, ou Fabienne Orsi, … mènent des travaux sur ces questions depuis un certain nombre d’années. Des Plateformes comme l’Atlas des Chartes des communs urbains ou Law for the Commons cherchent à rendre visibles cette créativité.

Le laboratoire juridique européen d’entraide pour les communs se situe dans cette lignée et rendra compte du travail réalisé au sein du mouvement des communs tout en ouvrant des perspectives d’actions répondant aux besoins des commoners et des réflexions pour les temps à venir.

PRENDRE SOIN

Rendre visibles et faire reconnaître les gestes du faire en commun

Les décennies qui viennent de s’écouler ont été largement marquées par le refus de prendre en compte le soin porté aux autres et plus généralement au vivant et à la Terre. Au cours des deux dernières années, ce phénomène est apparu plus évident que jamais car nous sommes nombreux et nombreuses à en avoir fait l’expérience quotidienne matérielle et psychique.

Prendre en compte le soin porté aux autres nécessite un renversement des valeurs et des hiérarchies dans la famille, le travail, nos rapports individuels et culturels à la nature et au vivant. Cela s’incarne dans les gestes du quotidien mais nécessite une métamorphose radicale de notre société. Les communs participent ici à l’ouverture des possibles. De nombreuses initiatives placent au coeur de leur projet des pratiques réelles de soin de soi, des autres et du vivant. Mais, même si ces pratiques sortaient de leur relative marginalité, leur seule addition ne suffirait pas à transformer la société française alors que le rouleau compresseur du capitalisme financiarisé est lancé à pleine vitesse dans la destruction des fondements du collectif et de la solidarité. Il est urgent de reconnaître la place du soin et du faire en commun pour qu’adviennent et se renforcent de nouveaux horizons politiques partagés.

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